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Johan Leysen
dans ‘Zénon l’insoumis’

Nous avions rencontré Johan Leysen, Anna Van der Wee et moi, à Paris. Ce devait être en 2016. Johan habitait alors la capitale française où il donnait des cours ou des stages de théâtre. Il venait d’avoir eu une attaque cardiaque et sortait de l’hôpital.

Allait-il, malgré son mauvais état de santé, accepter de participer au documentaire que nous préparions, produit par Image Création, où il interprétait un comédien désireux de monter une pièce de théâtre autour du personnage fictif de l’Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar, Zénon ? De nombreux jours de tournage étaient prévus, essentiellement à Bruges, à Rome et à Montpellier. Je ne voyais personne d’autre qui aurait pu interpréter le rôle. Heureusement, il accepta.

Au cours d’une première prise de contact à l’hôtel Métropole à Bruxelles, il avait émis des doutes sur sa capacité à lire des textes en français. Luc Jabon, le co-scénariste, l’avait rassuré : nous n’étions pas dans Descartes ! Nous avions ri. Son accent à la fois rocailleux et doux collait parfaitement au personnage de l’Œuvre au noir.

Ensuite, les évènements se sont enchaînés. Il y eut un tournage à l’aube dans le bois de Hal parmi les jacinthes sauvages, puis devant la maison d’André Delvaux à Linkebeek. Il portait un imper bleu à capuche que nous avions déniché à l’Armée du salut, signé Yves Saint Laurent, qui lui allait parfaitement. Johan était à la fois présent, attentif à ce qu’on lui demandait, mais dès qu’il disposait d’un moment de liberté, il sortait un texte de sa poche et s’absorbait dans sa lecture. Je pris l’habitude de le voir apparaître et disparaître comme il était venu. Il se mêlait peu à notre petite équipe, reprenant volontiers ses distances que ce soit à la table du petit déjeuner ou entre les prises de vues. On sentait le professionnel qui depuis longtemps avait su élever une barrière invisible entre son travail et le reste du monde.

A Montpellier où nous tournions dans l’extraordinaire musée de l’Anatomie, je le sentis touché, ému par ces pièces du corps humain, ces écorchés, ces squelettes d’enfants, ces rangées de crânes ou de poumons conservés là pour des besoins d’études. Il était vraiment Zénon, cet homme de la Renaissance, à la fois philosophe, alchimiste et médecin qui convoquait tout à la fois les affres des peintures de Boch, les horreurs d’Auschwitz ou les massacres du Ruanda. Était-ce pour reprendre pied dans la réalité, qu’il disparaissait entre les prises ? Cela devint un jeu entre nous. A chaque fois, je partais à sa recherche pour la scène suivante et le découvrais dans un endroit différent, assis sur les marches d’un escalier ou appuyé contre un mur ou un arbre, répétant à voix basse. A chaque fois, j’étais soulagée ! Ah, tu es là ! Comme si j’avais peur qu’il ne disparaisse !
Il jouait à l’époque dans une pièce de Milo Rau, La tentative et il répétait Oreste.

A Rome, pour les besoins du scénario, Johan changea de personnage. Nous avions prévu une rencontre entre lui et Angelica Ippolito, la compagne du comédien italien, Gian Maria Volonte, décédé depuis de nombreuses années. Ils avaient tourné ensemble dans le film d’André Delvaux, ‘L’œuvre au noir’ en 1988, Volonte interprétant Zénon et Johan son jeune geôlier.

Dans le documentaire, le personnage joué par Johan voulait en savoir plus sur la manière dont Volonte avait abordé le rôle de Zénon. Je n’avais pas voulu qu’il rencontre Angelica avant les prises de vues. Il patienta dans un café que tout le monde soit prêt. Nous l’attendions, camera à l’épaule et micro sur perche, dans l’appartement d’Angelica Ippolito quand il sonna. Il fut magnifique. Passant de l’italien à l’anglais puis au français, il devint celui qui cherche, improvisant, tout à la fois journaliste et collègue, humble, discret, posant quelques rares questions, à l’écoute d’Angelica, vibrant avec elle au souvenir de cet immense comédien que fut Gian Maria Volonte. Et puis s’étonnant ensemble du mystère de ces polaroïds pris par Volonte lui-même. C’est la plus belle séquence du film.

Dans le jardin médicinal de Montpellier, il y a un vieil arbre à loques qui est aussi un arbre à souhaits. Des bandes de papier découpées invitent les passants à inscrire leurs vœux et à les glisser dans les anfractuosités de l’écorce. Johan fut le premier à écrire quelque chose et à introduire son message le plus haut possible, entre deux branches.

Encore aujourd’hui je m’interroge sur ce qu’il a écrit, sur ce qu’il aurait souhaité pour l’avenir. Un vrai rôle où il aurait enfin pu donner sa pleine mesure ?

Françoise Levie

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