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Roger Beeckmans

Ce 17 mars 2023, Roger Beeckmans nous a quittés à l’âge de 90 ans.
Roger a arpenté les rues du monde entier avec pour seule arme sa caméra. Son éthique et sa sensibilité de réalisateur ne sont plus à démontrer.

D’abord cameraman à la RTBF jusqu’en 1994, il sera ensuite réalisateur de ces propres documentaires au sein d’Image Création. La particularité de son écriture de documentariste, c’est une caméra qui finit par s’oublier pour laisser place au point de vue de l’enfant ou de l’adolescent. C’est toute sa démarche depuis « le chemin des écoliers » jusqu’à son dernier film « Une si longue histoire », un film toujours au cœur de l’actualité qui témoigne de la réalité au quotidien des mineurs d’âge demandeurs d’Asile.

Cette longue collaboration m’a fait découvrir un homme d’un grand humanisme, un homme de terrain qui a mis sa caméra à hauteur d’enfant. Travailler avec lui était un vrai bonheur, dans le respect et l’honnêteté de son sujet. Sa démarche était simple et directe. C’est le style de Roger ! Je reste époustouflée par son travail rigoureux, minutieux sur le terrain, avec toujours une patiente et respectueuse attention.
Et voilà ce qu’il me disait de sa caméra :

« C’est la seule arme que j’aie eu envie de tenir à bout de bras. Je m’en sers depuis 1956. Non pas pour tuer, sauf le ridicule, mais pour dénoncer l’injustice, pour condamner les crimes contre l’humanité, pour stigmatiser ceux qui tuent au nom d’une religion, d’une idéologie, pour
flétrir ceux qui croient posséder la vérité. C’est parfois une arme efficace, parfois… pas toujours, hélas! Mais elle peut modifier des points de vue, des comportements, elle peut ébranler des certitudes. Même si les résultats sont modestes, cela vaut la peine d’essayer et de continuer à filmer. Pour garder l’espoir que dans le flot d’images qui nous submergent, quelqu’un ramasse la bouteille, l’ouvre, lise le message qu’elle contient et sorte enrichi par sa lecture. »

Merci à toi Roger de m’avoir fait partager ton regard du « réel », d’avoir provoqué en moi les interrogations, les doutes et la volonté d’agir à travers tes films.

Martine Barbé

Son parcours suit un chemin, celui de la tolérance et Roger nous disait
La tolérance est-elle une qualité qui ne vient qu’avec l’âge ? Etais-je tolérant quand je pensais plus jeune, avoir raison contre tous et seul dans ma conviction ?

J’ai appris la tolérance au cours de mon expérience professionnelle qui m’a fait rencontrer des hommes et des femmes, célèbres ou inconnus, avec qui j’ai vécu quelques heures, quelques jours, parfois quelques semaines. Souvent, assez de temps pour percevoir leurs limites ; tant de leurs qualités que de leurs défauts pour me faire d’eux une idée plus juste, plus nuancée que l’image que je prenais d’eux et plus riche que celle qu’ils souhaitaient donner d’eux-mêmes.

Je suis passé du métier de cadreur à celui de réalisateur. Il n’y a pour moi aucune idée de hiérarchie entre les deux métiers. Ils participent l’un et l’autre à la volonté de porter un témoignage, de dénoncer les injustices, de rétablir dans notre jugement, non pas la pitié, mais la justice ; l’émergence d’un sentiment très fort : la fraternité. Quand je vois ce mot gravé sur certains monuments publics en France, c’est le mot qui me touche le plus.

Je me souviens d’un reportage en Grèce, lorsque le pays connaissait la terreur et la répression. Sur un bateau qui nous menait d’une île à l’autre, une file de prisonniers politiques enchaînés furent menés à fond de cale. L’escale eut lieu la nuit. Sur le bateau certains passagers dormaient paisiblement, d’autres dansaient sur les airs du folklore grec. Nous étions quelques-uns accoudés au bastingage. Le vin que nous avions bu prit tout à coup un goût amer et j’eus honte d’être libre devant ces hommes enchaînés.

Nous tournions un film avec Mikis Theodorakis. Il jouissait alors d’une réputation telle qu’il ne pouvait être inquiété par la police. Il avait lui-même connu la torture et la détention dans les geôles de son pays. Il se sentait proche d’eux. Il a obtenu du commandant que les prisonniers ne soient pas enchaînés dans la cale pendant la traversée. Il ne pouvait guère faire plus. Nous avons pu cependant apporter quelques cigarettes et quelques douceurs à ces condamnés. L’un d’eux m’a dit les trois mots de français qu’il connaissait : « Liberté, égalité, fraternité ». C’est parce qu’il croyait que les hommes étaient faits pour vivre libres, égaux et tous frères qu’il portait des chaînes.

L’image de ces hommes enchaînés et celles que j’ai, plus tard, ramenées de différents conflits, de misère, de violence et d’intolérance ne m’ont jamais quitté.

C’est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu réaliser moi-même des reportages qui font partie d’une série consacrée aux enfants intitulée « Le chemin des écoliers ».

Les enfants, je les ai souvent filmés dans leur école ou dans ce qui en tenait lieu, quelques branchages pour se protéger du soleil. Pour moi, l’école est devenue un lieu aussi sacré qu’un temple ou que la plus prestigieuse des cathédrales. Parce que l’école est pour l’enfant le plus pauvre, le plus démuni, le plus marqué par les épreuves qu’il a subies, le lieu privilégié où il peut recevoir et percevoir un peu de cette lumière que nous cherchons tous avec des mots différents.

Je suis issu d’un milieu très modeste. L’une de mes grands-mères était illettrée et mes parents avaient d’autres soucis que la culture. J’avais huit ans quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté. De ces années de guerre, il me reste aussi des images que je ne puis et que je ne veux pas oublier : l’image de ma grand-mère, blottie avec moi sous la table de la cuisine lors d’un bombardement, l’effroi qui s’était emparé de moi, le bras protecteur de ma grand-mère, dont je ressentais bien la précarité. Ces images restent encore aujourd’hui profondément gravées dans ma mémoire.

Après la guerre, j’ai appris les malheurs et les crimes bien plus terribles dont avaient souffert des populations entières et qui rendaient bénignes les épreuves que j’avais traversées. Cependant, l’effroi dont je gardais le souvenir, je l’ai retrouvé plus d’une fois, amplifié, dans les yeux d’un enfant confronté à des violences bien plus terribles.

De cette expérience et de mon propre parcours est née la conviction que la guerre ne se nourrit pas seulement de causes économiques. Mais aussi et surtout d’intolérance. Du mépris des autres, pour peu qu’ils diffèrent de nous par l’habillement ou la couleur de la peau.

C’est contre l’intolérance et la différence, que j’ai voulu témoigner. Aujourd’hui encore, je souhaite continuer dans cette voie, apporter ma pierre, même modeste à l’édification de la fraternité.

Je n’ai pas la prétention de croire qu’un film peut changer le cours des choses, mais je pense que chacun d’entre nous peut par son exemple lutter contre l’injustice et l’intolérance et pour que personne ne puisse dire : « Je ne savais pas ».

Qui est Roger Beeckmans ?

Son parcours et sa filmographie :
D’octobre 1956 à janvier 1994 : cadreur, directeur photo, journaliste d’images et réalisateur à la RTBF.

  • Cadreur et directeur photo pour les magazines d’actualités : 9 millions, Grand angle, Transit, ainsi que pour les
  • émissions littéraires, musicales artistiques et scolaires
  • Cadreur et coréalisateur avec Raoul Goulard de la série L’homme et la ville
  • Réalisateur d’une série de portraits d’enfants en difficulté pour causes de guerre ou pour causes économiques défavorables : Le Chemin des écoliers, en co-production avec l’Unicef, la Direction générale pour le
  • Développement et Image Création
  • Réalisateur de Carole et Aliae, trois années de la vie de deux petites filles sourdes

De septembre 1995 à juin 2001, réalisateur du magazine pour sourds et malentendants : Tu vois ce que je veux dire

Depuis 1994, réalisateur indépendant d’une série de documentaires produits avec Image Création.com :

  • 1994-1995 : Les enfants et la guerre en Ethiopie et au Sud Soudan
  • 2000 : Des vies sans importance, les assassinats d’enfants des rues au Brésil
  • 2001-2002 : Une leçon de tolérance, dans une école dite à discrimination positive à Schaerbeek
  • 2004-2006 : Nos cœurs sont vos tombes, le génocide rwandais et le procès à Bruxelles
  • 2006-2007 : Une si longue histoire portraits d’enfants dans un centre pour demandeurs d’asile en Belgique
  • 2008-2009 : Une école en terre d’accueil,

1975-1995 : chargé de cours à l’INSAS : « Les techniques de reportage »
1996-2002 : chargé de cours sur l’image à l’institut pour journalistes à Bruxelles
2004-2005 : participation à des ateliers d’écriture cinématographique avec l’URTI et le Cirtef au Bénin et au Cameroun.

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